Variations en mode "mineur majeur"
Mine de rien, on constate qu’une mine est
- un trésor caché (on dit par exemple que ce livre est une mine d'idées),
- l'apparence extérieure du visage et de la physionomie d'une personne (on dit par exemple : tu as mauvaise mine, ou bonne mine)
- un bâtonnet de graphite inséré dans un crayon dont les traces se gomment facilement
- une charge explosive enterrée dans un terrain pour piéger l'ennemi et l'empêcher d'avancer (l’expression « avancer sur un terrain miné » veut dire prendre des risques comme si on marchait sur des mines)
- un gisement de minerais (cuivre, phosphates, plomb, fer, etc.)
- Un mineur est, par opposition à majeur, une personne immature, n'ayant pas encore atteint la majorité civile ou judiciaire (l'age de la responsabilité)
- Le mineur est un mode musical (maquam ennahawend)
- Le mineur est celui qui travaille à la mine.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître «Tout mineur
est
majeur »
majeur »
Vivre dans un village minier
Le travail est la transformation de la nature pour créer des richesses. L'économie désigne les règles et les modèles qui régissent cette transformation. Il s'ensuit pour chaque économie un mode de vie et de société approprié. Ainsi, la paysannerie et le travail de la terre sont les modèles correspondant à l'activité agricole. L'exploration de la mer et la pêche
pour la vie côtière et les activités maritimes, la rente pour l’immobilier, la
spéculation pour le commerce, etc. L'économie et le mode de vie miniers découlent d'une activité particulière qui consiste en l’extraction des ressources du
fond de la terre. Il s’ensuit qu’un village
minier est un milieu assez original sur tous les plans : social, ethnique,
culturel, démographique, économique, écologique, sanitaire, administratif, etc.
toutes ces dimensions se conjuguent entre-elles pour faire du milieu minier un
écosystème avec un mode de vie différent des autres.
C’est ainsi qu’on peut parler
d’une identité minière. Mais cette identité repose sur un paradoxe. C’est qu’un
habitant de la mine peut ne ressentir aucune affinité avec un concitoyen du
littoral, alors qu’il s’identifie à un mineur anglais ou russe. L’appartenance nationale
est par nature peu développée chez les classes ouvrières. Elle l’est encore
moins chez les mineurs qui n’ont d’allégeance qu’à leur cause commune. C’est
ainsi qu’ils s’identifient beaucoup plus à Germinal d’Emile Zola qu’à « Humat
al Hima ».
Toutes les mines naissent presque
partout dans le monde de la même façon. C’est toujours le capital conquérant qui
vient s’installer sur un territoire délaissé par ses occupants (si occupants il y a) pour investir dans
l’extraction d’un minerai. Aussitôt des appareillages de sondage du sol et des
machines d’extraction sont installés, aussitôt les pauvres gens qui ne
possèdent que leur force de travail affluent à la recherche du travail et un
village naît autour du site minier. La vie des gens est rythmée par le modèle du
salariat (par opposition aux modèles de
la rente, du profit ou de la récolte). Les ouvriers qui
l’habitent ne se connaissent pas au début. Ils passent leurs journées à la
corvée et c’est en travaillant à la mine qu’ils apprennent à se connaître. Ce ne
sont ni les rapports de sang, ni l’appartenance tribale, qui les unissent, mais
c’est plutôt leur condition de mineurs qui les rapproche les uns des autres.
Tout se crée au fond de la mine, de ses tripes et de ses entrailles : la
richesse, les alliances, les clivages, la conscience, la lutte, les amitiés et
sympathies, les animosités, les réputations et les célébrités, etc. C’est alors
que ces phénomènes rejaillissent sur la vie du village. Certes la cartographie
des quartiers se dessine, dans un premier temps, en fonction des descendances
régionales (des origines) des gens (les trabelsia, les swaffa, les jridiya, les
frechiches, les mrarcas, etc.). Mais, dans un second temps la compagnie
exploitant la mine bâtit des cités ouvrières dont l’occupation se répartit au
gré des affinités et amitiés entre mineurs qui décident de devenir voisins. Le
charisme, le leadership et la crédibilité se conquièrent à coup de bravoure et
d’exploits au fond des galeries et des tunnels de la mine avant de se consacrer
et de se transposer par la suite au niveau du village, etc.
C’est ainsi que les cités
minières sont des agglomérations villageoises dont le mode de vie, le rythme,
les relations et les valeurs sociales, la culture, etc. ne sont ni ceux des
habitants des grandes villes (anonymat, individualisme, violence et insécurité,
activités culturelles et distractives, diversité des activités économiques,
etc.) ni ceux des paysans (esprit
conservateur, la propriété de la terre est un enjeu central qui dessine la cartographie sociale et autour duquel se
cristallisent les valeurs économiques, sociales et culturelles), activités
essentiellement agricoles. Le village minier a cette spécificité de pouvoir
concilier des valeurs habituellement antagoniques : il n’ y a pas d’anonymat
(tous les gens se connaissent) mais le contrôle social n’y est pas très étouffant.
Les gens sont libertaires parce que la composition démographique est un mélange
ethnique (la prostitution n’est pas un critère d’exclusion sociale, la majorité
des mineurs boivent l’alcool, etc.). L’existence d’une élite composée des
cadres et des ingénieurs de la mine est à l’origine d’une infrastructure
administrative et de prestations avancées implantées depuis l’aube du XX°
siècle alors que des villes bien plus grandes n’en bénéficiaient pas
(électricité, eau courante, hôpitaux, écoles, terrains de tennis, bureaux de
postes, réseau téléphonique, chemins de fer, routes, salles de cinéma, écoles, etc.) Le régime
du salariat offre une certaine sécurité qui encourage les gens à dépenser. D’où
un comportement de consommation assez poussé. Le mélange ethnique est source
d’une richesse culturelle.
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LES VILLAGES MINIERS
Source : http://www.crasc.org/ouvrage-227.html
[site consulté le 08 décembre 2010]
« Aïcha Ettaïeb se penche sur le
secteur minier du Sud tunisien, organisé autour des localités de Metlaoui,
Redeyef, Oum el Araïs et M’dilla créées lors de l’exploitation des phosphates
par une société coloniale des mines. Dans le détail, le plan de structure des
villages miniers est classique composant d’un côté le village colonial
structuré, équipé et habité par les cadres européens et de l’autre, des noyaux
bâtis plus ou moins insalubres occupés par des produits de l’exode rural,
devenus par la force des choses des ouvriers mineurs. Après l’indépendance
tunisienne, l’Etat a apporté peu de changement à l’organisation urbaine de ces
localités car « la même structure bâtie ségrégative a été maintenue » et ces
régions minières, encore déshéritées, restent peu articulées aux espaces
économiques littoraux industriels et touristiques, posant de fait, une idée
centrale relative à l’aménagement du territoire ; une fois encore est formulée
la question du patrimoine matériel récent et sa préservation. »
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La
mémoire revisitée : Bibliothèques des deux rives Jalel Rouissi
Il est temps de nous réconcilier
avec une partie de notre mémoire et de notre histoire contemporaine. Le passage
des français et d’autres européens par notre pays (la Tunisie) a laissé ses
marques sur notre architecture, sur nos paysages urbains, sur nos traditions
culinaires, sur nos choix vestimentaires, sur notre langage parlé, etc. En
revanche, la France
est aujourd’hui un pays d’accueil de plusieurs centaines de milliers de nos
compatriotes naturalisés français tout en gardant des attaches indéniables à
leurs origines culturelles et racines identitaires.
Ce mouvement de va-et-vient entre
les deux rives de la méditerranée génère une matière culturelle très variée et
très riche qui appelle à être capitalisée. Un travail de collecte, de
classification, de sauvegarde, de valorisation, etc. serait la pierre angulaire
de cette capitalisation ; si bien que le besoin, d’un côté comme de l’autre,
n'est plus à démontrer. Il n’y a qu’à observer ces français de troisième âge
qui viennent en Tunisie à la recherche des traces de leur jeunesse ou enfance,
avec une émotion et un attachement très forts envers cette terre. Ces visiteurs
gardent des photos inestimables dans leurs albums de famille, des
correspondances, des notes personnelles de leurs parents, et des histoires à
raconter. Dans l’autre sens, l'ambivalence identitaire et la soif de repères
dont témoignent les 2° et 3° générations sont l’illustration éloquente de ce
besoin de se ressourcer en culture nord africaine. Les technologies numériques
offrent de larges possibilités pour reconstituer cette mémoire documentaire et
la rendre accessible aux passionnés et chercheurs dans un souci de servir
l’acculturation méditerranéenne et de réconcilier les nations de ce bassin avec
leurs mémoires pour que cesse à jamais cette bipolarité, ô combien nocive,
entre tentations néocolonialistes d’un côté et réactions chauvinistes de
l’autre.
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